lundi 26 mai 2014

GIRL curated by Pharrell Williams, une exposition controversée.

Takashi Murakami, Portrait of Pharrell and Helen Williams, 2014 (détail)
Guy Limone, GIRL, 2014 (détail)
Pharrell Williams pendant la conférence de presse
© photographies Alice Bénusiglio

Le coup de communication d’Emmanuel Perrotin

Ce lundi 26 mai, toute la presse était réunie dans la salle de bal de la galerie Perrotin située dans l’hôtel d’Ecquevilly, magnifique monument historique du XVIIe ayant appartenu au duc d’Ecquevilly, capitaine général de la vénerie du roi. Les journalistes étaient conviés à suivre une visite guidée de l’exposition Girl commissionnée par Pharrell Williams. Le communiqué de presse annonçait « une sélection d’artistes proches de la galerie et du musicien formant un opéra artistique où les muses se sont rassemblées pour rendre hommage aux femmes ». Tout un programme !

La visite guidée est menée par Emmanuel Perrotin en personne et Ashok Adicéam qui semble être le véritable curateur de l’exposition. Celui-ci a notamment été à partir de 2008 le directeur du développement du Palazzo Grassi et à partir de 2011 le directeur de l’Institut Culturel Bernard Magrez.

Au rez-de-chaussée, les nombreux journalistes et techniciens se pressent autour des œuvres de JR, Cindy Sherman, Jean-Michel Othoniel, Marina Abramovic, Takashi Murakami, Guy Limone et Aya Takano entre autres. Certains suivent les explications du galeriste, d’autres photographient les œuvres ou interviewent les artistes à la volée comme Laurent Grasso, fier de poser à côté de son tableau représentant Pharrell Williams en Napoléon découvrant l’Egypte sous une comète. Cette représentation est une commande du chanteur et sera également la pochette de son single Lost Queen.

La visite se poursuit au sous-sol. En descendant, nous observons une photo de Terry Richardson intitulée Eat me figurant un morceau de femme nue qui tient une friandise en forme de cœur sur son pubis épilé, laissant apparaître son clitoris. Sur le cœur est inscrit « Eat me ».
Arrivés en bas, Emmanuel Perrotin s’exclame, désabusé : « Ou sont passés les journalistes ? Nous en avons perdu la moitié ! ». Il enchaîne en présentant un tableau d’Alex Katz représentant une paire de fesses. Nous passons également devant un cœur en néons de Tracey Emin dans lequel est inscrit « Wanting You » puis devant une sculpture de Xavier Veilhan représentant le moulage d’une jeune femme.

Les salles se succèdent, avec pêle-mêle : un canapé et des tableaux de Marilyn peinturlurés de Rob Pruitt, une sculpture de Daniel Arsham représentant Pharrell Williams les mains jointes, deux autres sculptures de Chiho Aoshima, un tableau en pâte à modeler de Gelitin, deux sculptures de Johan Creten. L’avant-dernière salle réserve quelques bonnes surprises avec les étranges sculptures des artistes Germaine Richier, Klara Kristalova, Bharti Kher et Prune Nourry. Cette dernière a réalisé une sculpture hybride, Holy Daughter (standing), associant une jeune femme et une vache sacrée dans le cadre d’un projet artistique en Inde. Au mur, des photos de Sophie Calle, Valérie Belin, Paola Pivi, Mickalene Thomas et Yoko Ono. Dans la dernière salle tourne la projection d’une performance de Marina Abramovic et Ulay.

Remontée vers la salle de bal où les journalistes et techniciens forment une foule compacte. Tout le monde attend le dieu Pharrell pour lui poser des questions. Emmanuel Perrotin remercie la presse et demande à celle-ci de revenir quand il présentera des artistes moins connus. Il cherche à meubler le temps d’attente en nous parlant d’une autre exposition Post-op et s’interrompt d’un air dépité en lançant « je vois que ce que je raconte n’intéresse personne ! ». Un caméraman renchérit « on attend Pharrell ! ».

Pharrell Williams, l’heureux macho.

Le chanteur commence l’interview en se montrant faussement modeste. Il se compare à un étudiant ébahi qui découvrirait l’art. Pourtant il se sert de l’art pour faire sa promotion et se montre assez mégalomane. Demander à un artiste de le représenter en Napoléon, il fallait oser ! Dieu Pharrell l’a fait ! Il y a également cette curieuse œuvre de Daniel Arsham au titre grandiloquent The Future Pharrell représentant le chanteur comme une sorte de gisant debout. Et enfin ce canapé ridicule de Rob Pruitt décoré par des dessins au marqueur symbolisant l’univers bling-bling et enfantin du chanteur.

À la question « Êtes-vous féministe ? » Pharrell Williams répond :
« Je ne pense pas que je pourrais être féministe, tout simplement parce que je suis un homme ! (…) Est-ce que je soutiens leur combat ? oui ! (…) j’aime les femmes de A à Z »
Sur le sexisme dans le clip Blurred Lines il répond :
« Blurred Lines parle d’une femme bien, est-ce qu’il y a des femmes bien ici ? oui ! Parfois les femmes bien ont des pensées coquines, déplacées. Il ne faut pas que vous vous sentiez rabaissées parce que vous avez des pensées déplacées ! »
Non seulement il n’est pas féministe mais il semble franchement macho le dieu Pharrell ! Une femme qui éprouverait du désir pour quelqu’un aurait des pensées déplacées ? Pharrell Williams a-t-il des pensées déplacées quand il couche avec sa femme ? Ne réalise-t-il pas que l’image des femmes dans les clips de rap ou R’n’B les limite souvent à un rôle de prostituée en chaleur ayant hâte d’assouvir la libido de ces chers messieurs ?

Et le titre de l’album Girl ? Le chanteur fait-il la différence entre une fille et une femme ? Le communiqué de l’exposition nous rabâche que Pharrell Williams célèbre les femmes. Mais le titre nous parle de filles, ce n’est pas la même chose. Une femme serait-elle périmée ou moins désirable qu’une fille ?
Et la pochette de l’album ? Pharrell Williams pose en peignoir avec en arrière plan trois filles également en peignoir, aux jolis visages plutôt sexy. Comme tous ces chanteurs lourds, il incarne le stéréotype du machiste pour vendre davantage de disques. S’il aime toutes les facettes des femmes, pourquoi ne pose-t-il pas aussi avec des femmes artistes, intellectuelles, jeunes ou vieilles, belles ou laides ?

L'imposture de Pharrell Williams est flagrante, entre son discours et ses réalisations il y a de sérieuses incohérences.

L’idiotie des médias

Emmanuel Perrotin, en homme d’affaire avisé, amuse la galerie, excepté lui-même dont le regard est désenchanté. Il livre à la presse un chanteur à la mode sur un plateau d’argent. Celle-ci toute excitée en oublie de faire son travail. Dans les jours qui suivent le vernissage, les articles, vidéos et albums mondains prolifèrent sur internet. Les journalistes répètent en cœur comme des moutons de Panurge « Pharrell Williams a une nouvelle corde à son arc, il est maintenant commissaire d’exposition, il célèbre les femmes, etc ». Les œuvres ne sont presque pas évoquées, hormis celles où le chanteur apparaît. Le Figaro parle « d’un éblouissant coup médiatique », Le Monde s’attarde sur le chapeau et le postérieur de la star américaine tout en parlant « d’exposition couillue », merci Harry Bellet, quel article de haut niveau !

Heureusement, quelques articles font figure d’exception : Annabelle Laurent dans 20 minutes, Pauline Weber dans le Huffington Post ou encore Sarah Moroz dans The Guardian se montrent plus critiques. Judith Benhamou dans les Echos est franchement catégorique : « Allons droit au but. Pharrell est extrêmement mignon, il porte une force de vie envoûtante et un sens du succès magnifique mais bien chanter et bien choisir ses musiques ne fait pas de vous un commissaire d’expositions. Cette exposition est, comment le dire autrement, ultra médiocre. Un méli-mélo de sélections dans la programmation habituelle de la galerie Perrotin et de choix conjoncturels sous le titre Girl ». 

La journaliste est sévère. Je ne pense pas que cette exposition soit médiocre mais elle manque de consistance et de cohérence car elle n’a pas de véritable sujet. Les femmes (ou plutôt les filles) sont un prétexte. Le racolage avec Pharrell Williams est pesant, tout comme le battage médiatique stupide qui l’accompagne. Néanmoins, quelques grandes figures de l’art sont représentées pour donner un peu de crédit à cette exposition : Cindy Sherman, Marina Abramovic et Yoko Ono. Leurs œuvres parlent d’elles-mêmes. D’autres artistes comme Prune Nourry, Valérie Belin, Bharti Kher, Aya Takano ou Klara Kristalova présentent également des œuvres de qualité. Ce ne sont pas les artistes les plus connues et pourtant chacune a su développer un travail artistique puissant et original. On peut regretter qu’il n’y ait pas d’œuvre de Tatiana Trouvé, une autre excellente artiste de la galerie.

Daniel Firman, Caroline, 2014
JR, NYC Ballet Art Séries, Paper Interactions #13, 2014
Cindy Sherman, Untitled #98, 1982 (détail)
Aya Takano, Title to be determined, 2014
Chiho Aoshima, Kokemomo (C), 2008
Chiho Aoshima, Kokemomo (B), 2008 (détail)
Daniel Arsham, The Future Pharrell, 2014 (détail)
Johan Creten, Odore di Femmina - Soft Shell II, 2014
Andy Warhol, Judy Garland, 1978 
Taryn Simon, On perception, a self portrait, 2008 (détail)
Terry Richardson, Eat Me, 1994/98
Prune Nourry, Holy Daughter (Standing), 2010
Valérie Belin, Bride_XXXToys, 2012
Klara Kristalova, Deer, 2012 (détail)
Yoko Ono, CUT PIECE, 1964 (still)
Performed by the artist, Carnegie Recital Hall, New York, 1965
Marina Abramovic et Ulay, Rest Energy, 1980

*************************************************
*****************************************
************************************
****************************
POST-SCRIPTUM
*********
****
*



Le style de Pharrell Williams :
un chapeau cabossé, des tatouages, un diamant,
un blouson camouflage avec des fleurs, un T-shirt "Happy",
des bijoux, un chapelet et un sautoir Chanel accompagnés
d'un immense collier noué en perles naturelles.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire